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Le mauvais film

durée 11h07
1 avril 2016
Patrick Richard
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Patrick Richard

La mort. Sujet tabou. Limite à partir de laquelle… et puis plus rien. 

J’écrivais un texte niaiseux sur le budget fédéral quand ma fille de 11 ans est entrée dans mon bureau pour me dire : « Papa, Jean Lapierre est mort ». Quoi? Pardon? Je ne connais pas du tout Jean Lapierre. Mais je le connais un peu quand même pour l’apprécier dans ce qu’il savait si bien faire. Toute cette histoire est d’une tristesse sans fin. Je me suis dit que ce serait manquer de respect que de parler de budget fédéral dans une semaine qui demande un brin de recueillement. Chaque fois que passe la mort, je pense à une affaire plate qui n’a pas trop sa place en ces occasions : quelle est la teneur du dernier film des trépassés? Vous savez, ces gens qui ont frôlé la mort, mais qui sont revenus pour témoigner avoir vu un long tunnel et des images marquantes de leur vie? J’imagine que ceux qui reviennent de là, ce n’est pas tant par chance que par désillusion d’un très mauvais film.

« Gilles? On pensait que t’étais mort!
- Moé si! J’étais pas mal avancé dans le tunnel quand le film a commencé, j’ai marché ben lentement, mais christie que le film était plate! Je sais pas qui a fait le montage, mais c’était vraiment mauvais. »

Gilles raconte en riant que tout ce qu’il a vu, c’est les boutes plates de sa vie : la fois où il a passé une roche dans sa lame de tondeuse en coupant son gazon; la fois où il a retourné son tournevis brisé chez le quincailler, l’épicerie qu’il a fait en solitaire un mardi de novembre 1983, quand il s’est levé pour aller pisser en 7e année, bref, plein d’affaires insignifiantes plutôt que les moments marquants comme un mariage, une naissance, un voyage, un sourire. 

« Fait que me r’v’là! Vous êtes pas prête à me voir partir tu-suite vous autres, avant que le montage soit refait avec du bon sens, ça va prendre un boute! Faut que le monteur recommence à zéro, sinon j’meurs pu!»

Je m’imagine que ceux qui ne reviennent pas, comme monsieur Lapierre, c’est parce que leur film était vraiment bon. Et c’est ainsi que lentement, Jean a marché dans un long corridor en prenant le temps de regarder les moments marquants de sa vie sans trop s'en rendre compte. Un peu comme dans un rêve. Rares sont ceux qui se savent dans un monde onirique. J’écrivais récemment qu’il m’arrivait de faire « consciemment » des mammographies à la main dans mes rêves. Il m’arrive aussi de lancer tous les objets qui se trouvent autour de moi dans un désir fou de tout casser. Et ce démolissage en règle se déroule souvent au St-Hubert BBQ, là où j’ai passé sept ans d’une ancienne vie. Dans un rêve, on ne peut pas trop préciser les limites, saisir l’espace-temps, tout nous échappe. C’est un peu comme ça que je vois la mort. Une suite fuckée où on va rejoindre ceux qui nous ont précédés. On ne festoie pas vraiment dans un pow-wow, on incarne plutôt l’amour, la joie, la vie. Dans la mort. Mais chez nous, la mort est tabou. On en parle qu’en termes de tristesse, de perte, de chagrin. Ce n’est pas une réprimande, c’est une constatation. Comment pourrait-il en être autrement? On les aime, les gens qui meurent. Mais les gens qui meurent aussi nous aiment, mais eux ne pleurent plus. Quelque chose m’échappe dans tout ça. Dans un ancien travail d’université de 19 belles pages confrontant la pensée occidentale de la mort à la pensée orientale, et principalement celle contenue dans le Bardo Thödol (le livre des morts tibétains, autant un livre sur la naissance qu’un guide vers l’au-delà pour le mourant), j’ai parlé de mort. Tiens donc! Ici, devant vous, je m’autocite : « Le yoga des rêves vise principalement à contrôler ses rêves de façon à ce qu’ils nous apparaissent aussi réels que la réalité lorsque nous sommes réveillés. Pour les Tibétains, la vie n’a pas de réalité objective et est considérée, en elle-même, comme un rêve. En pratiquant ce yoga des rêves, en maîtrisant et en prenant conscience qu’il est possible de passer de l’état illusoire à l’état éveillé, il sera réalisable, lorsque la mort surviendra, de prendre conscience de la mort et d’apprendre, en quelque sorte, à mourir. » Ouan… un peu weird, me direz-vous, apprendre à mourir. Mais quelque part, ce n’est pas fou non plus. Toutes les religions nous enseignent ou nous renseignent sur l’au-delà. Une superbe fable, celle du Jeune homme et du vieillard, citée cette fois-ci par le très nommé Lama Guntang Könchock Dronmé, dit ceci : « Si nous suivons une voie spirituelle, la joie habitera notre esprit, quelque soit notre âge. Puis, lorsque la mort frappera, nous serons comme l’enfant qui déborde d’allégresse en retournant à son foyer. » En y repensant, c’est bien beau pour le mourant, mais pour ceux qui restent, ont fait quoi? J’imagine mal dans une église bien pleine le curé annoncer : « Faut se rendre à l’évidence, le film de Jean devait être ben bon, parce qu’il n’est pas revenu… »

À part ça, c’est qui qui les monte ces maudits films-là? Y’aurait pas pu se forcer un peu pour mettre une couple de scènes de Jean qui met du café dans son panier d’épicerie en 1983, de Jean qui va retourner son tournevis, de Jean qui se vire de bord dans son lit la nuit…

Patrick Richard
[email protected]

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