Nous joindre
X
Rechercher

Le cliquetis : Sur l’art de parler des petites choses insignifiantes du quotidien

durée 11h12
3 juin 2016
Patrick Richard
duréeTemps de lecture 2 minutes
Par
Patrick Richard

L’autre matin, j’étais installé à la table de ma cuisine à écrire ce texte (avec un café et le soleil qui me plombait dessus). Pas très loin de chez moi, des gens creusent un trou avec de grosses pelles mécaniques et cela engendre une certaine vibration dans la maison. Quelque part, dans la cuisine, j’entendais un cliquetis de tasse ou d’assiettes se frottant les unes aux autres au rythme de ladite vibration. Le genre de cliquetis dérangeant, déconcentrant, tannant. Au départ, j’ai laissé faire. Comme beaucoup d’autres choses dans la vie, me dis-je alors,  ce cliquetis allait cesser. Mais au bout d’une grosse minute, je me suis rendu à l’évidence… (parenthèses : j’aimerais un jour entrer dans une station-service quelconque et demander mon chemin à quelqu’un. Le quelqu’un me répondrait sûrement : vous voulez vous rendre où? Et je lui dirais sans broncher : j’aimerais me rendre à l’Évidence. Excuse-moi). Le cliquetis n’avait toujours pas cessé. Dans mon cerveau, tout s’est alors passé très vite (si ça va trop vite, je vous invite à relire les phrases l-e-n-t-e-m-e-n-t). J’ai pensé : et si je m’imposais? Si je faisais en sorte de faire cesser ce cliquetis qui pourrait me rendre fou si on m’obligeait à l’endurer pendant un an, dans un endroit lugubre, nu, privé de bonne nourriture et régulièrement flagellé. La réaction entre ma pensée et mes jambes en action de se redresser s’est faite pratiquement instantanément. Je me suis levé.

Je vous en parle et revois cette scène au ralenti. Je marche lentement et d’un pas décidé à la fois. L’endroit d’où provient le cliquetis se rapproche. Je tends l’oreille et j’écoute comme je n’ai jamais écouté un bruit. Je suis oreille, je suis enclume, marteau et étrier. Je suis l’onde qui se répercute dans le lobe avant d’entrer dans le canal auditif.  Je vais le trouver, coûte que coûte. Je suis prêt à tout et je comprends instantanément ce que peuvent vivre les populations du monde entier prises avec des problèmes de malnutrition, d’eau potable et de liberté. Je suis un avec l’humanité. Je me sens omniscient, en dehors du monde et je lévite même un tout petit peu.  Je ne suis plus tout à fait là, tout à jeun que je suis. Le temps s’arrête et devient présent, à jamais.

« Chérie, est-ce que je peux savoir ce que tu fais?
- Eh? que je crie apeuré.
- Qu’est-ce tu fais?
- Je … Je fais un avec le temps??
- Quoi?
- Hum! Je… je replace une assiette. Voilà.

Et c’est ainsi que ce matin-là, bien tranquille dans une maison tranquille d’une ville tranquille d’un pays tranquille d’une planète moins tranquille,  je vécus ma vie. Au présent, avec un cliquetis. 
Cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli, cli…

Patrick Richard
[email protected]

commentairesCommentaires

0

Pour partager votre opinion vous devez être connecté.