Les libéraux se préparent à élire leur nouveau chef, samedi


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Après une campagne interminable qui s'est déroulée dans l'ombre des bouleversements à Ottawa et des menaces des États-Unis, les libéraux du Québec choisiront samedi un nouveau chef qui, espèrent-ils, relancera le parti après des années d'inertie.
Les libéraux ont subi deux défaites consécutives face à la Coalition avenir Québec de François Legault en 2018 et 2022. Le parti a eu du mal à rejoindre les électeurs francophones des régions hors de Montréal et n'a pas su profiter de la baisse de popularité de M. Legault ces dernières années.
En revanche, le Parti québécois, un parti souverainiste, a bondi dans les sondages et semble bien placé pour former le prochain gouvernement, malgré le fait qu'il ne détient que cinq des 125 sièges de l'Assemblée nationale.
Avec les prochaines élections prévues pour octobre 2026 dans une province connue pour ses fluctuations électorales importantes, la pression est forte sur les libéraux pour prouver qu'ils sont toujours une force vitale.
La question à laquelle les membres libéraux doivent répondre avant de choisir leur nouveau chef est simple, selon Pablo Rodriguez, candidat à la direction et ancien ministre fédéral: «Qui peut battre François Legault et le Parti québécois?»
«Qui peut nous ramener au pouvoir en 2026?», a affirmé le politicien de 57 ans.
La course à la direction, qui a été lancée en janvier, n'a pas toujours attiré l'attention avec tout ce qui se passait autour. La décision de l'ancien premier ministre Justin Trudeau de démissionner a déclenché une course à la direction fédérale en février, suivie d'élections générales, influencées par les menaces de droits de douane et d'annexion du président américain Donald Trump.
«La course à la direction a malheureusement été noyée (par ces événements)», a souligné Sébastien Dallaire, vice-président exécutif de la firme de sondage Léger.
M. Rodriguez, le plus connu des cinq candidats, est le favori présumé. Après neuf ans au sein du gouvernement Trudeau, il a quitté Ottawa en septembre dernier pour briguer la direction du parti provincial et a mis de l'avant son long parcours politique. Un sondage Léger réalisé auprès de la population générale, publié en mai, le montrait largement en tête de ses rivaux.
L'importance des régions
Mais il est difficile de prédire l'issue de la course en raison des modalités du parti, a avancé Sophie Villeneuve, analyste politique et ancienne employée du Parti québécois. Les libéraux ont attribué un nombre égal de points à chacune des 125 circonscriptions du Québec. Dans chaque circonscription, un tiers des points est réservé aux membres de 25 ans et moins.
Cela signifie que le gagnant devra séduire les jeunes électeurs et ceux de l'extérieur de Montréal. Cela pourrait représenter un défi pour M. Rodriguez, dont le siège fédéral se trouvait dans cette ville, a souligné Mme Villeneuve.
«Je pense que M. Rodriguez est très connu à Montréal, mais pas si connu que ça dans les régions québécoises», a-t-elle soutenu.
«C'est par les régions que le Parti libéral peut espérer pouvoir réussir à re-séduire les électeurs québécois. Faut pas qu'il se cantonne dans les circonscriptions qui sont déjà acquises.»
Malgré un certain chevauchement entre les membres, les libéraux provinciaux ne sont pas affiliés au Parti libéral fédéral.
Les libéraux du Québec ne détiennent actuellement que 19 sièges à l'Assemblée nationale, principalement à Montréal. La concentration de l'électorat libéral dans la métropole leur a permis de conserver leur statut d'opposition officielle.
Karl Blackburn, un ancien président du Conseil du patronat du Québec originaire du Saguenay, a déclaré que les libéraux doivent redevenir le parti de l'économie et des régions. «M. Rodriguez est zéro en deux sur ces questions», a affirmé M. Blackburn, âgé de 57 ans, qui s'appuie fortement sur son passé dans le monde des affaires.
L'équipe de campagne de M. Blackburn a commandé un sondage auprès des membres du parti qui, selon elle, donne à M. Rodriguez une légère avance, mais insuffisante pour remporter la victoire au premier tour du scrutin préférentiel du parti. Son équipe affirme que les appuis pour M. Rodriguez se concentrent à Montréal, ce qui pourrait donner un avantage à M. Blackburn au deuxième tour, lorsque les seconds choix des électeurs commenceront à compter.
Choisir entre le passé et le renouveau
Mme Villeneuve prédit aussi qu'il n'y aura pas de vainqueur au premier tour. Elle a toutefois affirmé que M. Blackburn, qui était député sous le gouvernement libéral de l'ancien premier ministre Jean Charest, «représente le passé du Parti libéral» à un moment où celui-ci est en quête de renouveau.
Par ailleurs, Charles Milliard, ancien président de la Fédération des chambres de commerce du Québec, se présente comme l'option de la jeunesse. Nouveau venu en politique, il s'est comparé en entrevue au chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, qui n'avait jamais été élu avant de prendre les rênes du parti en 2020.
«J'aime sa façon de faire de la politique, a affirmé M. Milliard, âgé de 45 ans. Nous avons évidemment des points de vue différents sur l'avenir du Québec, mais je pense que ce serait un duel très intéressant l'an prochain.»
Marc Bélanger, avocat spécialisé en commerce international, et Mario Roy, économiste et agriculteur, briguent également la direction du parti.
Les principaux candidats affichent des positions similaires sur plusieurs des grands enjeux auxquels le Québec est confronté. Ils ont attaqué le bilan économique de François Legault, soulignant le déficit record de 13,6 milliards $ déposé par le gouvernement cette année. Ils se sont dits ouverts à de nouveaux projets d'oléoducs au Québec, qui ont longtemps été voués à l'échec dans la province.
Et ils promettent d'unifier les Québécois après des années de ce qu'ils qualifient de politique clivante sous le gouvernement de la Coalition avenir Québec, soulignant l'importance accordée par M. Legault aux questions identitaires telles que l'immigration, la laïcité et la langue française.
«La première tâche d'un premier ministre est d'unir les gens, pas de les diviser, a soutenu M. Rodriguez. Alors, rien qu'en changeant de ton, cela changera beaucoup de choses.»
Les candidats présentent également les libéraux comme la meilleure option pour ceux qui veulent éviter un autre référendum sur l'indépendance, que le Parti québécois a promis de tenir d'ici 2030.
«J'ai vraiment le sentiment que les Québécois sont dus pour un changement, a indiqué M. Blackburn. Et que ce changement, ça ne sera pas un référendum comme le propose M. St-Pierre Plamondon, mais ce sera une vision qui sera tournée vers l'avenir.»
Regagner les francophones
Quel que soit le candidat élu samedi, les libéraux auront fort à faire s'ils veulent avoir une chance de former le prochain gouvernement, a noté Sébastien Dallaire.
«D'une manière ou d'une autre, la relation de longue date entre le Parti libéral et ses électeurs francophones du Québec a été rompue», a-t-il expliqué.
«La priorité absolue du nouveau chef devrait être de proposer un programme auquel davantage de francophones peuvent s'identifier. C'est vraiment l'enjeu majeur du parti depuis près d'une décennie.»
Maura Forrest, La Presse Canadienne