Un pêcheur autochtone du N.-B. amorce une contestation constitutionnelle


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Par La Presse Canadienne, 2023
HALIFAX — Un pêcheur autochtone a comparu jeudi dans une salle d'audience du nord du Nouveau-Brunswick, où il a entamé une contestation constitutionnelle qui pourrait s'avérer déterminante pour les Premières Nations de l'ensemble des Maritimes.
Cody Caplin, membre de la Première Nation d'Eel River Bar, pêchait le homard dans la baie des Chaleurs en septembre 2018 lorsque son frère Kyle et lui ont été arrêtés et que leur bateau a été saisi par des agents des pêches fédéraux. Un an plus tard, ils ont été accusés de dix infractions liées à la pêche, y compris le piégeage du homard hors saison.
M. Caplin dit que son frère a finalement plaidé coupable aux accusations, principalement en raison du fardeau financier d'un procès. Mais M. Caplin a poursuivi son combat, affirmant que les Mi'kmaq ont des droits autochtones et des droits issus de traités protégés par la Constitution qui leur permettent de pêcher et de chasser pour se nourrir quand ils le souhaitent.
«Si nous gagnons, nous pourrions créer un précédent et faire jurisprudence pour d'autres pêcheurs micmacs dans toute la province», a-t-il déclaré lors d'une récente entrevue, confirmant que les arguments constitutionnels seront entendus à la cour provinciale de Campbellton, au Nouveau-Brunswick.
Un professeur émérite de droit à l'université Dalhousie, à Halifax, estime que l'affaire Caplin et d'autres cas similaires sont importants, car ils soulèvent des questions quant à l'engagement du gouvernement fédéral à faire progresser la réconciliation avec les populations autochtones du Canada.
«On pourrait espérer qu'après tout ce temps, la loi et le cadre constitutionnel concernant les pêches autochtones soient plus clairs, a déclaré Wayne MacKay. Dans une grande mesure, ce n'est pas le cas.»
Les arguments de M. Caplin
Dans une déclaration préparée pour le tribunal, M. Caplin cite les traités de paix et d'amitié signés par les Mi'kmaq et la Couronne britannique dans les années 1700, qui reconnaissent le droit des autochtones à chasser et à pêcher pour leur subsistance personnelle.
La déclaration mentionne aussi que les traités ont été sapés par le racisme inhérent à la Loi sur les Indiens de 1876, qui a créé le système des réserves et l'expulsion des Mi'kmaq de leurs terres non cédées afin de «détruire notre capacité à subvenir à nos besoins».
M. Caplin devrait également citer la décision de la Cour suprême du Canada concernant Ronald Sparrow, un membre de la Première Nation Musqueam, en Colombie-Britannique, qui a été condamné pour avoir pêché illégalement en 1984.
En 1990, le tribunal a annulé la condamnation et reconnu que son droit ancestral de pêcher était protégé par l'article 35 de la Charte des droits et libertés, qui confirme les droits existants des autochtones et les droits issus des traités.
Cette décision permet aux Premières Nations de pêcher en dehors de la saison commerciale normale pour approvisionner leurs communautés ou les rassemblements cérémoniels. En revanche, elles ne peuvent pas vendre ce qu'elles pêchent pendant ce que l'on appelle désormais la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles.
M. Caplin a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de vendre ses prises le jour où il a été arrêté, et que ses actes auraient donc dû bénéficier des protections offertes à la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles.
Sa stratégie au tribunal sera guidée par Del Riley, l'ancien chef de la Fraternité nationale des Indiens, que M. Riley a contribué à transformer en Assemblée des Premières Nations au début des années 1980.
Entre 1980 et 1982, M. Riley a également dirigé les efforts visant à inscrire les droits des autochtones dans la Constitution. On lui doit d'avoir négocié l'inclusion de l'article 35 dans la Charte, ainsi que de l'article 25, qui protège les droits autochtones et les droits issus de traités contre l'abrogation ou la diminution par d'autres parties de la Constitution.
M. Riley, membre des Chippewas de la Tamise, près de London, en Ontario, n'est pas avocat. Il agira en tant qu'agent de M. Caplin pendant les audiences, tandis que M. Caplin se représentera lui-même au tribunal.
Le ministère fédéral des Pêches n'a pas répondu à une demande de commentaire.
Jusqu'en Cour suprême?
Ce cas est similaire à d'autres dans les Maritimes. Le mois dernier, le ministère fédéral des Pêches a confirmé que 54 pêcheurs micmacs faisaient l'objet d'accusations liées à la pêche en Nouvelle-Écosse. À l'époque, près de la moitié d'entre eux ont déclaré qu'ils prévoyaient d'engager des poursuites constitutionnelles, bien que plusieurs d'entre eux aient depuis renoncé à le faire.
Toutefois, la plupart des affaires portées devant les tribunaux de Nouvelle-Écosse concernent des pêcheurs autochtones qui cherchent à subvenir à leurs besoins, selon la définition donnée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Marshall de 1999, plutôt que de pêcher à des fins alimentaires ou rituelles.
Qu'il s'agisse d'une pêche à des fins alimentaires ou pour gagner modérément sa vie, M. MacKay, de l'Université Dalhousie, a déclaré que l'une des questions clés est de savoir si le gouvernement fédéral peut réglementer les saisons de pêche.
Selon M. MacKay, il est presque inévitable que l'une de ces affaires soit portée devant la Cour suprême du Canada.
Après l'audience de jeudi, le cas de M. Caplin a été ajourné jusqu'au 18 janvier.
Michael MacDonald, La Presse Canadienne