Régimes de retraite à la dérive
La Cour d'appel maintient la décision initiale sur les régimes de retraite municipaux
Par La Presse Canadienne
Les municipalités avaient bel et bien le droit d’exiger de leurs employés syndiqués qu’ils assument jusqu’à 50 % du déficit de leur caisse de retraite, mais elles étaient aussi obligées de maintenir l’indexation des prestations versées à leurs retraités.
Dans une décision de 137 pages dont les 46 premières identifient les parties prenantes et leurs représentants, la Cour d’appel a maintenu mercredi la décision rendue par le juge Benoit Moulin de la Cour supérieure en juillet 2020.
La masse d’intervenants s’explique par le fait que l’imposant dossier touchait la quasi-totalité des municipalités québécoises et leurs syndicats d’employés et de policiers.
Régimes de retraite à la dérive
Le dossier découlait de la contestation de la loi 15 adoptée par le gouvernement libéral en 2014 alors que Pierre Moreau était ministre des Affaires municipales. La loi 15, intitulée «Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal», se voulait une bouée de sauvetage des régimes de retraite municipaux, dont la situation s’était fortement dégradée durant la dizaine d’années précédant son adoption. Le rapport d’un groupe d’actuaires démontrait que cette détérioration imposait un fardeau financier de plus en plus lourd aux municipalités qui assumaient à elles seules la facture du déficit.
La loi 15 visait, en résumé, à faire en sorte que les employés municipaux actifs assument jusqu’à 50 % des déficits de leur régime. Du même coup, elle suspendait l’indexation automatique des prestations versées par les régimes à leurs retraités.
L’ensemble des syndicats municipaux avait contesté la validité constitutionnelle de cette loi, lui reprochant de porter atteinte au droit de libre association garanti par la Charte puisque ces dispositions, normalement négociées, étaient imposées unilatéralement à leurs membres.
Décision «urgente et justifiée»
Le jugement de première instance avait toutefois validé la portion du partage des coûts du déficit, ce que la Cour d’appel confirme, notant que «la Loi 15 ne cherche pas à imposer aux employés l'ensemble des risques des régimes à prestations déterminées du secteur municipal, mais plutôt à les partager avec les organismes municipaux». Pour le tribunal, «le caractère urgent et réel du problème» justifiait cette entorse à la Charte, surtout que toute négociation semblait impossible.
D’ailleurs, le jugement rédigé par le juge Robert Mainville, de la Cour d'appel, ne mâche pas ses mots à l’endroit des syndicats qui, écrit-il, «refusent de reconnaître le caractère urgent et réel du problème - un refus qui s'est manifesté même devant cette Cour. Dans ce contexte, le législateur a conclu que les solutions requises afin de parvenir à la restructuration nécessaire des régimes ne pourraient être convenues pour l'ensemble du secteur municipal par la voie de négociations régulières menées dans le cadre du Code du travail».
«Une modification structurelle importante des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal était nécessaire, urgente et justifiée», tranche le tribunal qui souligne qu’il s’agit d’un moindre mal puisque le législateur aurait pu choisir la solution plus radicale d’imposer des régimes à contributions déterminées plutôt qu’à prestations déterminées, beaucoup moins avantageux pour les syndiqués.
L'indexation maintenue
En revanche, le juge de première instance avait donné raison aux syndicats sur la question de l’indexation automatique des prestations versées aux retraités et le banc de trois juges de la Cour d'appel maintient aussi cette portion du jugement Moulin. «Le juge de première instance a conclu de l'abondante preuve devant lui que l'indexation automatique de la rente de retraite n'était pas une cause déterminante des problèmes financiers des régimes de retraite du secteur municipal», écrit-on.
En d’autres termes, l’indexation n’a pas un impact suffisant sur les problèmes financiers des régimes pour invoquer le caractère de nécessité urgente et justifiée.
Ainsi, dans ce cas et contrairement à celui du déficit, «le retrait unilatéral d'un droit issu de la négociation collective, soit !'indexation automatique de la rente, et ce, sans égard aux droits acquis des retraités, combiné à l'absence d'un processus de négociation et d'arbitrage de différends constituent des entraves substantielles à la liberté d'association», fait valoir le tribunal, comme l’avait fait le juge Moulin avant lui.
«Pour les retraités concernés, le retrait de l'indexation automatique constitue une perte significative. La valeur de leur rente de retraite se trouve réduite de façon unilatérale selon une décision essentiellement discrétionnaire de l'organisme municipal. Leurs droits acquis garantis par la loi sont ainsi mis au rancart», écrit le juge Mainville.
Facture salée à prévoir
Cette décision pourrait se traduire par une facture salée pour certaines villes.
Plusieurs municipalités avaient tout de même suspendu l’indexation des prestations de leurs retraités, de sorte qu’elles accusent désormais des arrérages dont les évaluations varient de 300 millions $ à 350 millions $.
Il faudra voir si cette suspension sera maintenue dans l’espoir d’une conclusion différente en cas d’appel en Cour suprême. Personne n’a toutefois annoncé jusqu’ici son intention d’amener le dossier jusqu’au plus haut tribunal, mais un tel appel ne serait guère étonnant puisqu’il ne s’agit que d’une victoire partielle pour l’ensemble des parties au dossier.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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