Blainville, Lorraine et Sainte-Thérèse sont visées
MONTRÉAL – La firme de génie-conseil Tecsult (aujourd'hui AECOM) a fait du financement politique illégal autant au niveau provincial que municipal. C'est ce qui ressort du deuxième jour du témoignage de l'ingénieur à la retraire Roger Desbois devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC).
Comme plusieurs autres firmes, Tecsult avait mis sur pied un système de prête-noms pour gonfler les caisses des partis politiques.
Roger Desbois a ainsi versé 16 900 $ au Parti libéral du Québec (PLQ), 8995 $ au Parti québécois (PQ) et 1000 $ à la défunte ADQ, de 1997 à 2008. Tous ces dons, sauf un de 400 $ en 2008, ont été faits à la demande du patron de Desbois, Luc Benoît, et ont été remboursés via des «bonis» annuels. La conjointe et les enfants du témoin ont participé au même stratagème.
«Je répondais à une demande, point», a lancé l'ingénieur en réponse à une question du procureur, Me Simon Tremblay.
Sur la scène municipale, le témoin a versé 9800 $ en dons au PRO des Lavallois de 1998 à 2009. De cette somme, 7800 $ lui ont été remboursés par des «bonis».
Roger Desbois a par ailleurs confirmé la rumeur qui courait de plus belle depuis hier en affirmant que Tecsult avait aussi fait du financement illégal dans plusieurs municipalités de la couronne nord, parfois même avec sa «caisse personnelle».
Le témoin a nommé les villes de Saint-Jérôme, Blainville, Lorraine, Sainte-Thérèse et Mascouche.
Pour ce qui est de Blainville, l'ingénieur à la retraite a reconnu avoir été impliqué dans les élections municipales de 2005 et de 2009. Il a ainsi raconté avoir donné quelques dizaines de milliers de dollars pour aider le candidat Daniel Ratthé en 2005.
«Je suis allé porter à Pierre Gingras, qui s'occupait de Daniel Ratthé, un montant de 30 000 $», a affirmé Desbois. M. Ratthé, aujourd'hui député caquiste de Blainville, a été écarté du caucus de son parti, hier, à la lumière de ces informations.
Roger Desbois a ensuite expliqué avoir remis 12 000 $ à Dominic Cayer pour la campagne de François Cantin, en 2009.
À Saint-Jérôme, l'ingénieur a été approché dès 2006 en vue des élections de 2009. C'est Christian Côté qui l'aurait approché pour l'équipe du maire Marc Gascon. De 2006 à 2008, Roger Desbois a remis 5000 $ annuellement à Côté. Cette somme a toutefois atteint 50 000 $ en 2009, mais l'ingénieur aurait joué un simple rôle d'intermédiaire.
C'est que Christian Côté aurait réclamé un montant de 25 000 $ pour deux importants contrats impliquant Tecsult. ABC Rive-Nord a ainsi accepté de payer 25 000 $ relativement au contrat d'une usine de filtration et Équipements d'excavation quatre-saisons a payé la même somme relativement au contrat d'un nouveau développement.
À Sainte-Thérèse, Roger Desbois a admis avoir remis un total de 10 000 $ pour les campagnes de Sylvie Surprenant, en 2005 et 2009 alors que 22 000 $ ont été versés pour Boniface Dalle-Vedove, à Lorraine, pour les mêmes années.
Finalement, à Mascouche, le témoin a raconté que Serge Hamelin s'était montré particulièrement gourmand en réclamant 30 000 dollars pour l'élection de 2005. Pour y arriver, Tecsult et CIMA+ se sont associés pour faire du financement.
Hamelin a formulé la même demande à Desbois en 2009, mais ce dernier a refusé, préférant remettre 5000 $ pour la campagne de Richard Marcotte.
Ristournes par les firmes de génie-conseil
Par ailleurs, Roger Desbois a confirmé qu'il n'y a pas que les entrepreneurs qui devaient verser une ristourne de 2 % sur la valeur des contrats publics au PRO des Lavallois. La règle s'appliquait aussi aux firmes de génie-conseil.
«Est-ce que les firmes de génie devaient, tout comme les entrepreneurs, faire un retour d'ascenseur au politique?» a demandé au témoin le procureur Me Simon Tremblay. «Oui, sous forme d'argent, au PRO des Lavallois», a répondu Desbois, précisant qu'il y avait deux taux: 2 % pour les contrats standards et 1 % pour les contrats reliés, par exemple, aux usines de filtration.
Roger Desbois a affirmé avoir fait, au fil des ans, deux versements au parti de Gilles Vaillancourt au nom de Tecsult. Le premier aurait été fait «autour de 2006 ou 2007» après que l'agent officiel du PRO, Me Jean Bertrand, eut communiqué avec Desbois pour réclamer de l'argent sans toutefois établir un montant.
Le patron de l'ingénieur, Luc Benoît, lui a finalement remis 25 000 $ à remettre au notaire Me Jean Gauthier, qualifié de «collecteur» par le témoin. «Je lui ai donné, il m'a dit merci et c'est tout», a dit le témoin.
Le deuxième versement aurait été fait «fin 2007 ou début 2008», mais Roger Desbois n'a pas été en mesure de spécifier qui lui en a fait la demande. Cette fois, Luc Benoît aurait remis 50 000 $ plus 5000 $ en devise américaine à l'ingénieur. «Dis-leur que c'est le dernier versement que nous faisons», aurait ajouté le patron.
Desbois a une fois de plus rencontré Me Gauthier, mais lui a seulement remis la partie en argent canadien. Les 5000 $ restants ont ensuite été mis dans la voûte de la firme et ont été remis à l'Unité permanente anticorruption (UPAC).
Lorsque Me Tremblay a fait remarquer au témoin que la somme de 75 000 $ ne correspondait pas au 2 % de la valeur des contrats de Tecsult, Roger Desbois a fourni l'explication suivante: «on était en retard. On avait de la difficulté à avoir de l'argent comptant».
Neuf firmes impliquées
Le témoin a aussi reconnu l'existence d'un système de collusion entre les firmes de génie-conseil en territoire lavallois. L'ingénieur a identifié neuf firmes qui, à sa connaissance, ont pris part au stratagème.
Il a donc énuméré: Dessau, CIMA+, Tecsult, Génivar, MLC, Filiatrault McNeil & Associés, Bafa Consultants, Triax et Equiluqs.
Selon le témoin, le système a été en place jusqu'en 2010, l'UPAC et la commission Charbonneau venant changer la donne.
À la fin de son témoignage, Roger Desbois a tenu à exprimer ses regrets pour les gestes qu'il a commis au fil des ans. Visiblement repentant, il s'est adressé à la présidente France Charbonneau.
«Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait, a-t-il dit. Après coup, on regrette. Je vais subir les conséquences de mes gestes. Je n'ai d'autres choix que de les assumer. Je regrette aussi ce que je vais faire subir à mes enfants. Et tout le reste... J'espère que ma présence à la Commission en faisant connaître le système va vous être utile parce que j'y étais grandement mêlé. C'est une petite contribution»