Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse
Protection des enfants: Québec tarde à suivre les recommandations du rapport Laurent
Par La Presse Canadienne
Lenteur, incohérence, manque de transparence: le comité de suivi de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) est inquiet des actions du gouvernement pour mieux protéger les enfants du Québec.
Cette semaine marque le triste anniversaire, il y a cinq ans, du décès de la fillette de Granby dans des circonstances tragiques. Après ce drame qui a bouleversé le Québec, une commission spéciale présidée par Régine Laurent et composée d'experts a déposé un rapport contenant une soixantaine de recommandations ayant pour but d'éviter ce genre de tragédie.
Trois ans après le dépôt du rapport Laurent, le comité de suivi de la CSDEPJ constate que le gouvernement tarde à agir. Il estime qu'à ce rythme cela prendra encore20 ans pour mettre en œuvre l'ensemble des recommandations du rapport.
Martine Desjardins, présidente du comité de suivi de la CSDEPJ, indique qu'on est loin de l'objectif de six ans du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant. «On est à la mi-parcours, dit-elle. On ne doute pas de la bonne volonté du ministre, on ne doute pas que les pistes qui sont mises de l’avant sont sûrement des pistes adéquates, mais nous, on juge de l’application du rapport et actuellement on est très inquiet.»
«On est loin des dix ans même projetés par Régine Laurent dans sa lettre ce matin», a fait valoir Mme Desjardins, faisant référence à la lettre ouverte de l'ex-commissaire publiée mardi dans les médias.
Selon le bilan gouvernemental 2021-2023 sur l'état d'avancement de son plan visant à mettre en œuvre les recommandations, 11 d'entre elles sont complétées. «Nous, on arrive à neuf selon les données qu’il a rendues disponibles dans son bilan, indique Mme Desjardins. Il y a deux recommandations qu’on n’arrive pas à trouver complétées.»
En plus des 65 recommandations, le rapport Laurent comprend 251 sous-recommandations, qui sont des pistes d’action. Selon les données du gouvernement, 42 % des sous-recommandations sont en cours ou complétées. Le comité n'arrive pas à la même conclusion; il calcule plutôt 30 % en fonction des incohérences.
Incohérence
Le comité a repéré plusieurs incohérences entre les mesures que le gouvernement dit avoir complétées et l'objectif de la mesure. Après analyse, il arrive à la conclusion que le ministère a complété une seule recommandation de manière cohérente sur les 65 du rapport Laurent. Il s’agit de la recommandation 3.4 qui est de faciliter l’échange d’informations pour mieux servir l’intérêt de l’enfant.
Mme Desjardins précise que le comité n'analyse pas si la proposition du gouvernement est utile, mais plutôt si elle concorde avec les pistes d'actions du rapport Laurent.
Pour donner un exemple d'incohérence, elle cite la mesure 2.8.4 où la commission demandait que les enfants qui font l'objet d'un placement sous la Loi de la protection de la jeunesse puissent demeurer dans leur milieu de vie, garderie ou école, lorsque c'est dans leur intérêt. «Le gouvernement dit dans son bilan qu’il diffuse des orientations ministérielles pour s’assurer d’une transition harmonieuse lors d’un changement d’école. Ça peut être une bonne mesure, mais ça ne répond pas à la recommandation 2.8.4 qui demandait à garder les enfants dans leur milieu de vie», explique-t-elle.
«Quand on constate l’ensemble de ces incohérences, on arrive à 30 % des recommandations qui sont en cours (d’être complétées). C’est un pourcentage qui nous inquiète, affirme Mme Desjardins. (...) Il faut accélérer le pas actuellement si on veut s’assurer de rentrer dans les délais proposés par le ministre Carmant lui-même.»
Le comité a par ailleurs constaté que plusieurs mesures considérées urgentes n’ont pas encore été appliquées. Quatre des 15 chapitres du rapport sont «délaissés», selon son analyse. Il s'agit du chapitre sur les Premières Nations, sur les conflits familiaux et violences conjugales - ce qui est un enjeu récurrent, rappelle Mme Desjardins - le chapitre sur la communauté d’expression anglaise ainsi que celui sur la croissance et la stabilité des investissements en protection de la jeunesse et en innovation.
Parmi les mesures négligées, Mme Desjardins nomme celle sur les installations en centre jeunesse, alors que leur vétusté a fait les manchettes dernièrement. «Ce sont des mesures d'urgence qui ne sont toujours pas mises de l'avant actuellement (...) il est clair pour nous qu'il devrait y avoir des priorités de ce côté», dénonce-t-elle.
Manque de transparence
Les problématiques d’accès à l’information et aux données publiques ont été révélées au grand jour au cours des dernières semaines. «C’est vraiment problématique au Québec, affirme Mme Desjardins. On n’est pas les seuls à l’avoir dénoncé.»
Le comité de suivi de la CSDEPJ a produit un rapport complet, mais sa présidente dit constater «comme plusieurs autres que l’accès aux données est extrêmement difficile». Elle souhaite un meilleur accès à certaines données et pas seulement celles issues du ministère de la Santé et des Services sociaux, mais d'autres ministères reliés aux recommandations comme celui de l'Éducation.
D'autre part, Mme Desjardins a partagé les inquiétudes du comité quant au projet de loi 37, qui concerne la Loi sur le commissaire au bien-être et aux droits des enfants.
Pour l’instant, l'étude de ce projet de loi par les parlementaires est interrompue le temps que le ministère puisse arrimer le tout avec les peuples des Premières Nations. «Pourquoi ça n’a pas été fait avant le dépôt du projet de loi? Ça nous aurait évité de mettre en pause l’adoption des recommandations dans le projet de loi», soulève Mme Desjardins.
Elle espère que l'étude du projet de loi reprendra rapidement puisqu'il comporte plusieurs recommandations phares, notamment l’implantation d’un commissaire au bien-être et aux droits des enfants, «qui est un enjeu crucial des mesures urgentes qui doivent être mises en place».
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne
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